— Putain, mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
— Ça s’appelle un pangolin, explique Wilson. C’est un mammifère appartenant à la classe des pholidotes, si tu veux crâner en société.
Je ramasse la photo et contemple la créature improbable.
— Attends, tu veux dire que ça existe vraiment ? Sans rire, mais c’est hideux, ce truc. On dirait la tête de ma belle-mère sur un corps de Pokémon.
Puis, me tournant vers Yahvé :
— C’est vraiment Toi qui as créé cette abomination ? En fait, T’étais déjà défoncé à l’époque, c’est pas possible autrement !
— Oh, take it easy, man! Tu as lu la Bible comme Moi, non ? Je m’étais déjà tapé la lumière, la terre, l’eau, la vie, les continents, la nature, les étoiles, les saisons, les poiscailles et les piafs. Tout ça en cinq jours ! Le sixième, gros dossier sur la table : Je devais Me fader toutes les bestioles qui rampent sur la terre. Alors J’étais peut-être un peu claqué en fin de journée, ou J’avais pas pris mes vitamines, Je ne sais plus, bref, J’ai dû bricoler avec ce qui Me restait, genre un stock d’écailles et de la viande. Comme J’aime pas gâcher, J’ai bidouillé une bestiole, vite fait, et c’est devenu le pangolin… Remarque, vu que dans la foulée, J’ai créé l’homme, tu imagines si Je lui avais attribué une grande queue comme à lui ? Pour le coup, il aurait vraiment été à Mon image, krr, krr, krr !
Je mate une dernière fois la photo du pangolin. Ça me rappelle ces tatous que je dégommais à la carabine quand j’étais môme et que je passais mes vacances chez mon cousin dans le Tennessee.
— Et c’est quoi le rapport avec votre grippe ? Je pensais que je devais tuer le porteur du virus.
— Mais c’est lui, le porteur, annonce Wilson.
— Quoi ? Ce rat sous stéroïdes ?
— Pour la faire courte, dans la nature certains animaux sont naturellement porteurs du virus. Par exemple le serpent, la chauve-souris… ou le pangolin.
— Ben déjà qu’il est moche comme un cul de babouin, faut en plus qu’il soit nocif. Parce que c’est ce que tu es en train de me dire, Wilson, c’est bien le pangolin qui a transmis le Covid à l’homme ?
— Il semblerait oui. Bien qu’il ne soit pas exclu que la chauve-souris ait eu son mot à dire dans cette pandémie. Mais en l’occurrence, le pangolin a été un maillon de la chaîne de transmission.
D’un coup, le doute m’habite.
— Attends… Et comment il l’aurait transmis, cet affreux ? Me dis pas qu’il y a un pervers qui s’est amusé à enculer un pangolin ?
— Non, il a été mangé.
Je ne savais pas qu’un zombie pouvait avoir des haut-le-cœur. Pourtant, c’est bien une monstrueuse gerbe qui me prend. Parce que des saloperies bien immondes, j’en ai becqueté, et pas qu’un peu ! Dans ma carrière de mort-vivant, j’ai dévoré du psoriasique, du lépreux (qu’est-ce qui est rose et qui fond dans la bouche ? Un gland de lépreux !), du avec le chancre mou, du avec des furoncles purulents, et même de l’élu frontiste. C’est vous dire si j’en ai bouffé, des immondices. Mais là, la simple perspective qu’on puisse se préparer un kebab au pangolin me retourne la boîte à ragoût…
— Je crois que j’aurais préféré que tu me dises qu’on lui avait fait un deuxième trou de balle…
Puis, reprenant le fil de mes idées :
— Et donc, vous voulez que j’aille tuer un petit n’animal qui n’a rien fait de mal, à part être la victime de la connerie des humains ?
— Putain, c’est beau ce que tu dis là, mec, me répond Yahvé en me serrant l’épaule. Mais en vérité, on s’en bat les couilles avec une raquette de jokari, de qui tu butes. Que ce soit ce pangolin à la con, ou le mec qui a eu l’idée géniale de le débiter à la plancha, Wilson et moi, on s’en tape le coquillard. Pourvu que tu arrives à empêcher la propagation de ce virus, tu peux bien étriper qui ça te chante.
— D’accord, mais comment je vais faire pour savoir quel pangolin je dois tuer ? Je ne suis pas zoologue, moi. Mince, je sais à peine reconnaître une loutre d’un berger allemand ! Je vais devoir éradiquer tous les pangolins de Chine pour être sûr de ne pas louper le bon ? Sans rire, vous ne pouvez pas envoyer le zombie de quelqu’un qui soit vraiment calé en animaux ? Je ne sais pas, moi, le commandant Cousteau ?
— Il ne s’y connaît qu’en poissons.
— Brigitte Bardot ?
— Elle ressemble à un zombie, mais elle est toujours vivante.
— Dian Fossey ?
— 80 % de tes lecteurs sont déjà en train de googler son nom pour savoir de qui tu parles.
— Rhaaaah, vous faites chier, les mecs !
— Allez, fais pas la gueule, Orcus, sourit Yahvé. Tiens, tu sais ce que tu fais ? Dès que tu vois un pangolin, tu lui prends sa température, et s’il fait de la fièvre, tu le piques !
Il éclate de rire, insensible aux regards méprisants que Wilson et moi lui jetons.
— Je sais que la tâche ne sera pas facile, Orcus, mais nous avons déjà circonscrit la zone, dans la campagne de Wuhan, l’épicentre du virus. Et si tu as besoin d’aide, tu peux solliciter n’importe lequel de mes autres lieutenants pour t’épauler.
C’est vrai que perdu dans un pays inconnu, à traquer un animal dont j’ignorais encore l’existence dix minutes plus tôt, je ne cracherais pas sur un petit coup de main. Oui, mais qui pourrais-je réclamer, parmi mes connaissances, qui connaîtrait suffisamment la…
Oh, mais attendez !
Je lève la tête vers Wilson et demande :
— Je veux bien que tu en appelles un, oui.
Wilson me scrute avec intensité. Il sait forcément à qui je pense et soupire :
— Tu es vraiment sûr que tu as besoin de lui ? À part pour la dimension comique de la suite de l’histoire, je ne vois pas très bien ce qu’il pourra t’apporter.
— Je me permets d’insister, boss.
Wilson hausse les épaules.
— Après tout, c’est toi le personnage principal…
Il ouvre un nouveau portail de feu devant nous.
— Le temps que je le sorte de son caisson, va déjà sur place, il te rejoint tout de suite.
— Et si tu trouves du pavot, rapporte-m’en un ballot, mec. Ils en produisent de first quality, il paraît.
J’ignore la dernière intervention du gros camé et franchis le portail sans hésiter.
La seconde suivante, je me retrouve donc deux ans en arrière, dans un paysage à la végétation luxuriante. Je place l’expression « paysage à la végétation luxuriante » tout de suite, pour en être débarrassé, vu que je m’y connais encore moins en plantes qu’en animaux. Donc je peux être bien entouré de bambous, d’eucalyptus, de plants de navets ou de baobabs à poils durs, ça ne nous avancera pas beaucoup. Donc sachez juste qu’il y a plein de plantes, partout, et que ça ressemble vaguement à une forêt ou une jungle.
Un glissement familier dans mon dos m’informe par ailleurs que Wilson vient de m’envoyer l’associé que je réclamais. Et visiblement, ce dernier a l’air ravi de me retrouver :
— Orcus Morrigan, je vais te crever, fils de chien !