On a tous en nous quelque chose de Tenn… d’autiste. Plus les recherches sur ce handicap évoluent, plus on s’aperçoit que de nombreuses personnalités, mortes ou contemporaines, présentent des symptômes aujourd’hui diagnostiqués comme autistiques. En vrac, citons Beethoven, Mozart, Einstein, Woody Allen, Alfred Hitchcock, Bill Gates, Van Gogh, Newton… Alors pourquoi pas vous ou moi ?
Il est souvent difficile, voire impossible, de pénétrer le cerveau d’un autiste, d’en appréhender le mode de fonctionnement. Il est pourtant une constante remarquée, celle des passerelles qu’ils établissent entre leurs différents sens. Là où nous cloisonnons nos perceptions de façon complètement arbitraire, eux, au contraire, établissent des liens a priori improbables, des rapprochements surprenants. Et là, je ne peux m’empêcher de penser au poème de Baudelaire, « Correspondances » :
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Tiens, encore un qui était peut-être Asperger, le Charlie…
Et tant qu’on est dans les digressions, j’aimerais un jour qu’on pose la question suivante et qu’on y réfléchisse : les autistes voient-ils le monde à leur façon, ou le voient-ils tels qu’il est vraiment alors que nous essayons de leur imposer une vision « officielle » ? Fin de la parenthèse.
Tout ce long préambule pour en arriver à la question du traitement de l’image dans l’écriture. La comparaison. La métaphore.
Rien de plus casse-gueule, qu’une métaphore. C’est totalement subjectif. Certains vont en apprécier une, quand d’autres la trouveront grotesque. C’est bien la raison pour laquelle je ne m’y frotte que contraint et forcé.
Mais qu’est-ce que c’est qu’une métaphore, sinon une association de deux images. De deux sens. Une vision, une odeur, un son, vont en appeler un autre. Une correspondance va s’établir entre eux, qui va amener cette image parfois saugrenue, et hélas trop souvent convenue.
Car le problème est bien là : étouffés que nous sommes sous nos étiquettes et nos clichés, nous avons tendance à utiliser et à recycler jusqu’à l’écœurement des comparaisons et des images trop souvent employées. Remplir le catalogue des lieux communs serait trop fastidieux. Mais n’en avons-nous pas soupé des « mares de sang », des « jambes gainées de cuir », des « parfums délicieusement envoûtants », « des corps comme des lianes », etc.
J’en arrive à me demander si la métaphore idéale, celle qui fait mouche, ce n’est pas la métaphore spontanée. La métaphore de l’autiste. Quand votre esprit est ouvert, que vous faites confiance à vos perceptions, et que la première association, jaillissante, instinctive, n’est pas celle qui fera mouche. Quitte à la retravailler. Si finalement, il ne faut pas chercher à se convaincre soi, et pas le plus grand monde. Refuser le compromis pour ne pas tomber dans la facilité.
Franchement, vous ne préférez pas un « Le bœuf froid aux carottes fit son apparition sur d’énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent. » (Proust) ou le sublime « A gauche et à droite, l’horizon était borné par des collines crayeuses, aux traînées blanches et noires, où les vignes, à cette saison, n’apparaissent que comme des croix de bois dans un cimetière du front. » (Simenon) à un pathétique et anonyme « une main glacée saisit Cindy aux entrailles, son sang battait comme le glas de ses espérances » ?
Mmmh ? Croyez-moi, libérez l’autiste qui est en vous. La postérité vous en remerciera.