Le golgoth a beau être aussi mahousse qu’un dolmen, il n’en est pas moins d’une rapidité fulgurante. En trois foulées, il nous a fondu dessus, et nous n’avons que le temps de rouler au sol pour éviter sa première attaque.
— Orcus, gueule Tokū en se relevant, dis-moi que tu as un plan !
— Tu rigoles ? D’où j’aurais un plan, dis-moi ? J’étais censé savoir qu’on allait se coltiner un tel monstre ? Attention !
Furieux de nous avoir ratés, le golgoth ramasse un tronc, dont il entend se servir comme d’un gourdin. Tokū ne doit qu’à ses réflexes de s’abaisser au dernier moment et d’éviter le casse-noix improvisé qui manque lui arracher la tête.
In petto, je me botte le cul. J’ai trop pris la confiance, sérieux ! Pourquoi ai-je foncé tête baissée à travers ce portail sans penser à prendre le parfait vanity du zombie en déplacement : un bon vieux fusil à pompe, une tronçonneuse, un katana, ou même un décapsuleur ! Mais non, il a fallu que comme d’habitude, je fasse mon mariolle sûr de lui, et que je m’imagine que j’allais tout résoudre avec juste ma bite et mon absence de couteau.
Résultat, Tokū et moi nous retrouvons comme deux glands sans rien pour nous défendre face à un golgoth sous anabolisants et qui manie le tronc d’arbre avec la même facilité que toi un coton-tige.
Pour l’instant, Bibendum n’en a qu’après Tokū. Peut-être qu’il n’aime pas les bridés, qu’il a acheté une Nissan défectueuse, ou alors il considère mon pote comme un amuse-bouche, un sparring-partner pour s’échauffer avant de s’attaquer au malabar du duo, aka bibi myself.
En tout cas, je dois reconnaître que mon comparse se démerde pas trop mal. Je ne sais pas si de son vivant Tokū a été yakuza ou moine Shaolin (oui, je sais, les moines Shaolin sont Chinois, pas Japonais, mais ne m’interromps pas en pleine action, s’teup), mais il esquive les attaques du golgoth avec grâce et fluidité, et en profite pour lui placer des coups de tatane et des atémis dès que le monstre baisse sa garde.
Seulement, vouloir terrasser cette créature avec des tapes sur la joue, c’est comme vouloir abattre la muraille de Chine avec un pic à glace. Techniquement, ça reste possible, mais ça va prendre du temps.
En outre, les coups de Tokū, non contents d’être inoffensifs, agacent encore plus le golgoth, comme ces taons qui inlassablement viennent piquer le cul des bourrins dans les pâtures.
Et comme les taons sont durs…
Bref, ce n’est qu’une question de minutes avant que le golgoth n’arrive à immobiliser Tokū, et je ne donne pas cher de sa peau putréfiée à ce moment.
Je regarde autour de moi, à la recherche d’une arme improvisée. Une branche épaisse, moi aussi ? La belle affaire, ça se cassera sur cette montagne de muscles comme un spaghetti cru ! Et cette belle pierre, là, bien saillante et tranchante ? Bullshit ! Pour la dernière fois, je vous rappelle qu’il ne faut pas croire ce tissu de conneries véhiculé par des décennies de mauvais films et de séries indignes : un zombie n’a pas de cerveau, il ne sert donc à rien de viser la tête ! Vous pouvez la lui exploser à la 22, y planter tout votre service à plancha, ça ne fera rien, on n’est pas dans un jeu vidéo, je vous l’ai déjà dit !
Pour immobiliser un mort-vivant, on lui coupe les jambes, on le carbonise, on le dissout, on lui chante du Christophe Maé, bref, on fait tout pour l’empêcher de s’approcher de vous. Mais par pitié, oubliez ces conneries de trépanations au sabre ou de boîtes crâniennes explosées au Colt 45, ce n’est que du pipeau.
— Orcus, merde ! gueule Tokū entre deux sauts de cabri pour éviter les battoirs du golgoth. Tu comptes me filer un coup de main à la Saint-Trou de Balle ?
Il a raison, au point où on en est…
Je plonge à mon tour dans la mêlée, et Tokū et moi nous accordons dans un ballet non dénué de grâce. L’essentiel de nos mouvements consiste à éviter les coups du golgoth. Dès que ce dernier attaque l’un d’entre nous, l’autre en profite pour le frapper aussi fort que possible. Nous alternons ainsi mawashis, grosses beignes et crochets dévastateurs dès qu’une ouverture se crée.
Enfin, quand je dis dévastateurs, c’est en tout cas l’intention. Parce que dans les faits, j’ai davantage l’impression qu’on le chatouille. Heureusement que les zombies ne sentent pas la douleur, parce que sinon, j’aurais les poings en bouillie, à force de m’escrimer contre ce mur.
— On ne va jamais y arriver comme ça, crié-je alors que les griffes du golgoth déchirent mon blouson. Je ne vois qu’une seule solution.
— Ben magne-toi la rondelle, Orcus, il ne te reste que vingt minutes avant la mise en ligne de l’article.
— Reculons !
Tokū et moi nous réfugions à l’orée de la forêt. Au milieu de la clairière, le golgoth nous contemple de ses yeux de sang et renâcle, comme un Minotaure sur le point de charger.
— Je vais faire diversion, expliqué-je. Toi, tu en profites pour te glisser derrière lui. Là, tu te démerdes comme tu veux, mais tu me le mets à genoux.
— Ah ouais, rien que ça ! Et après ?
— Après, laisse faire le patron…
J’enlève alors mon blouson, et tranquillement, avance de quelques mètres.
— Oh, pépère, tu t’es suffisamment échauffé, là ? On peut passer aux choses sérieuses ? Allez, montre-moi ce que tu as vraiment dans le calbuth, grosse merde !
Je ne sais si Musclor est sensible aux insultes, mais il pousse un nouveau hurlement et me charge.
Tout se joue alors en quelques secondes. Tokū prend son élan et court lui-même en direction du golgoth, qui n’en demande pas tant. Mais au dernier moment, il se jette pieds en avant et glisse entre les jambes du monstre. Il se relève aussitôt et effectue un low kick qui fauche le golgoth au niveau des mollets.
Ce dernier pousse un grognement de stupeur et tombe à genoux.
À moi de jouer. Je profite qu’il soit à ma hauteur et lui plonge dessus. Mais j’ai sous-estimé sa vivacité. Bien que toujours agenouillé, il m’attrape en plein vol, me ceinture et se met à serrer de toutes ses forces.
Mes jambes battent dans le vide, et j’entends les craquements de ma colonne vertébrale qui part en miettes. Golgoth versus Orcus Morrigan, ou Hercule et Antée revisités, mais je crois que c’est la fin de votre zombie préféré.
Tokū, qui se démène pour maintenir les jambes du golgoth au sol, hurle :
— Ta tête, Orcus ! Sers-toi de ta tête !
Ma tête ? Mais oui ! Dans un dernier effort, je prends tout ce que je peux de recul et administre un monstrueux coup de boule au géant.
Ce dernier relâche son étreinte et je peux enfin lancer mon poing qui lui atterrit dans la bouche.
Oui, oui, lecteur de mon cœur, tu as bien lu. C’est bien à escient que je lui enfonce tout mon poing dans sa vilaine gueule aux crocs acides et acérés. Mais pas fou le bourdon, c’est ma main métallique que je viens de lui introduire dans le gosier.
Comme je l’espérais, son réflexe et de vouloir me la bouffer. Seulement, l’acier de Léonard de Vinci, excuse-moi, c’est pas de la feuille d’aluminium, et mon golgoth se brise les chicots sur ma main chromée.
Mais je n’en reste pas là. Je prends appui sur sa sale gueule et effectue un salto qui me fait passer par-dessus sa tête et le voilà le cou tendu en arrière, avec le poing d’Orcus Morrigan dans la margoulette. Je pivote, lui attrape les cheveux de ma main libre, et de celle en acier, je lui saisis la mâchoire supérieure.
— Tokū, aide-moi !
Mon comparse se relève, m’agrippe aux hanches et, les pieds bien campés au sol, nous tirons de concert.
— Oh hisse, la saucisse !
Craaaaaaaac ! Sous la force de notre traction, ses maxillaires se séparent et je me retrouve avec les deux tiers de la tête du golgoth dans les mains. Seule sa mâchoire inférieure est restée attachée à son cou, avec quelques dents et une grosse langue gélatineuse et sanglante qui s’agite dans tous les sens.
Dans mes pognes, je contemple la partie supérieure de sa tête qui roule des yeux furibards.
— Tokū, à toi l’honneur.
Vous vous souvenez, la tête du zombie, pas son point faible, tout ça, tout ça. En revanche, un zombie aveugle, ça ne sert plus à rien. Avec raffinement, Tokū saisit chaque œil du golgoth entre le pouce et l’index, et les crève négligemment, comme tu le ferais avec du papier bulle.
Dès lors, nous libérons le corps du monstre, qui se relève et avance en battant des bras au hasard, comme un poulet sans tête.
— Tu comptes en faire quoi ? me demande Tokū en montrant la calbombe du golgoth. L’accrocher au-dessus de ta cheminée ?
— Naaaaaan !
Je prends deux pas d’élan, et avec une technique que m’envierait Hugo Lloris, j’effectue un dégagement d’un somptueux coup de rangers.
La tête du golgoth effectue une courbe parfaite, avant de s’écraser au milieu de la clairière en faisant un beau klonk.
Klonk ?
Tokū et moi nous dévisageons, interloqués, puis piquons un sprint à l’endroit où la tête a atterri et écartons ces foutues herbes hautes à l’endroit de l’impact.
Oh, tiens, une porte métallique à même le sol !
— Qu’est-ce qu’on fait ? demande Tokū.
— À ton avis ? On ouvre la porte et on entre.