— Si fous foulez, ch’ai une solution à fous proposer !
Je dévisage la loque qui se tortille sous ma poigne en me jetant des regards implorants.
Bon sang, comment une sous-merde pareille a-t-elle pu commettre de telles atrocités de son vivant et prendre son pied en torturant tant de gens ? Quand cette mission sera finie, j’aurai une petite discussion avec le gros Yahvé, là-haut, et je lui demanderai si ça lui arrive souvent de créer de telles abominations.
Une vision de mon grand-père le cul en buse dans un champ de navets, une girouette dans le fion, me traverse l’esprit, et je me retiens in extremis d’éclater la boîte crânienne de Mengele sur le coin du bureau.
— Parle !
— Danke schön, Herr Orcus! Eh pien, si fous relisez ce que fous afez écrit hier, fous ferrez qu’au moment de me crafater, fous afez fait les questions et les réponses.
— Je ne comprends pas…
— Fous afez supposé que mon plan était d’éradiquer la moitié de la planète afec le firus, mais je n’ai pas eu l’occasion de répondre, nein ?
Soudain, le doute m’habite.
— Tu as du débit, Tokū ?
— Putain, va manger tes morts, Morrigan !… Oui, la connexion est bonne.
— Alors connecte-toi sur www.maxime-gillio.com et relis le passage en question, s’il te plaît.
Tokū s’exécute, et en quelques clics, arrive sur le site de l’auteur de ce chef-d’œuvre.
— Alors, attends. Gna gna gna… Ah, voilà ! « Quoi, qu’est-ce que tu vas nous expliquer ? Que tu avais prévu de contaminer l’ensemble de la planète ? Qu’ainsi, les plus faibles périraient et seuls les plus forts survivraient ? La théorie de la sélection naturelle à la sauce currywurst ? Corona über alles ? Honnêtement, qu’est-ce que tu veux que ça me foute, mon joli ? Mon job, c’est de t’éliminer, et j’adoooooooooore mon taf. Alors dès que j’en ai fini avec toi, crevure, on fout le feu à ce labo, on crame toutes tes bestioles à la con, et rendez-vous au tome 3. » Il a raison, mec, tu ne lui as pas donné l’occasion de répondre, et tu as supposé quel était son plan. Mais il n’a pas confirmé.
— Ach! Qu’est-ce que je fous afais dit !
Bordel, il commence vraiment à me soûler, le Teuton. Je le secoue tellement fort qu’on se croirait dans un Astérix quand Obélix distribue des baffes à un Romain.
— Ah ouais ? Et tu n’as pas nié non plus, tête de gland ! Et puis d’abord, qui a trouvé tes fichiers sur cet ordinateur, hein ? Et qui a demandé ce qu’on foutait dans son labo, dis ? Tu es vraiment prêt à tout pour sauver ta peau, ma salope, mais ça ne prend pas avec moi. Ose dire que tout ceci n’est pas ton œuvre, crevure !
Un prunier secoué par un parkinsonien tremblerait moins que lui. Il arrive néanmoins à bégayer :
— Che ne dis pas le contraire, mein Herr ! C’est bien mon laboratoire. Mais imachinez un instant que che ne sois pas à l’orichine de ce prochet et que…
— Attends une minute, bonhomme, le coupé-je. On va arrêter deux minutes de retranscrire ton accent de Frisé, parce que ça devient vraiment lourd. « Imachinez un instant que che ne sois pas à l’orichine de ce prochet »… Non mais sérieux, j’ai l’impression de jouer dans La 7e compagnie au pays des morts-vivants, et que le zombie de Jean Lefebvre va se pointer d’une minute à l’autre… Alors à partir de maintenant, tu parles normalement, et mes lectrices chéries et mes lecteurs amis feront un petit effort d’imagination, d’accord ?
— C’est comme vous voulez, mon cher. Je disais donc : imaginez un instant que je ne sois pas à l’origine de ce plan maléfique, mais n’en sois qu’un modeste exécutant…
Mon absence de cerveau turbine à toute vitesse.
— Tu voudrais dire que quelqu’un d’autre serait derrière tout ça, et qu’on t’aurait juste passé commande ?
— Jawo… pardon : si fait. Je suis réputé dans le milieu zombie pour mes qualités de généticien. Donc vous n’auriez qu’à imaginer qu’on m’ait sollicité pour mettre au point ce virus et contaminer ces animaux, et qu’en réalité, j’ai un commanditaire mystérieux au-dessus de moi. Ainsi, vous expliquez à la fois l’existence de ce laboratoire et ma présence en ces lieux. Du reste, j’ajoute que la quête de mon client peut vous prendre facile une semaine supplémentaire de feuilleton.
Merde, il me coupe la chique, le verdâtre !
— Tokū, tu en penses quoi ?
— Eh bien c’est séduisant… Bon, la ficelle est tellement grosse qu’elle ressemble à un câble d’amarrage de porte-avions, mais on a déjà lu ou vu bien pire ailleurs. De toute façon, c’est ça, ou alors tu es bon pour imaginer la suite de ton feuilleton avec des putains de flash-backs, et pitié, tout sauf ça !
— OK, je vous suis… Bon, on reprend où du coup ?
— Au moment où tu as commencé à le prédécouper à la perceuse ?
— Allez, c’est parti ! Morrigan vs Mengele, deuxième !
Nous retournons à la desserte métallique, je reprends la perceuse et entame une nouvelle séance de « ça rentre comme papa dans maman ».
J’en suis à mon quatrième trou quand Herr Mengele rend les armes :
— Non, pitié, arrêtez !
Je retire le foret tout glaireux d’humeurs diverses et le fais vriller à ses oreilles.
— Arrêter, et pourquoi, crème de furoncle ? On le sait, que tu avais prévu de tuer une partie de la planète dans ton délire nazi de supériorité de la race aryenne.
— Oh non, monsieur Orcus, en réalité, je ne suis qu’un modeste soldat et je n’ai fait qu’obéir aux ordres venus d’en haut.
— Ah oui, vraiment ? Et qui est donc ton patron ? Parle, scélérat !
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ce que nous jouons mal ! On dirait des apprentis comédiens en train de monter du Feydeau à la MJC de Bourzy-le-Petit. Un bref regard à Tokū, affligé, me confirme que Mengele et moi concourons pour l’Oscar du plus mauvais comédien.
Bon, expédions ce passage au plus vite, et achevons cet instant d’une malaisance rare.
— Tokū, connecte-toi sur YouTube et mets le son à fond.
Tokū ne cherche pas à comprendre et s’exécute.
— Et après ?
— Cherche une chanson de Patrick Bruel.
Quelques clics, puis les premiers accords de Qui a le droit envahissent la pièce. Entre mes mains, Mengele est devenu livide.
— Pitié, murmure-t-il, tout mais pas ça. Poinçonnez-moi, écartelez-moi, empalez-moi, émasculez-moi, tout ce que vous voulez, mais pas lui.
— Oh que si, Josef ! Soit tu nous balances le nom de ton chef, soit on te joue l’intégralité des chansons de Patrick Bruel et d’Enrico Macias, sans oublier les sketchs de Popeck et de Patrick Timsit, bref, je te balance toute la jewish connexion jusqu’à ce que tu craques !
— Ce ne sera pas la peine, halète l’Ange de la Mort, je vais tout vous dire !
— Tokū, mets sur pause…
Mengele se relève, titubant.
— Suivez-moi…
Méfiants, nous lui emboîtons le pas. Il se dirige au bout de l’allée des cages contenant les pangolins. Arrivés au bout, nous nous arrêtons devant un enclos, bien plus grand que les autres.
— Oh sa mère ! Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
Imaginez-vous un pangolin, facilement cinq fois plus grand que la normale. Ses yeux sont injectés de sang, des canines démesurées lui sortent de la gueule, ses écailles sont noires, luisantes et effilées comme des lames, et il arrive à se tenir sur ses pattes arrière.
Une putain de créature de l’enfer !
— Oh ça, répond Mengele en jouant les modestes, disons que je me suis amusé à modifier un spécimen de pangolin. Que voulez-vous, la manipulation génétique, c’est mon dada. Du gentil pangolin insectivore et inoffensif que vous connaissez, j’en ai fait un super prédateur assoiffé de sang. Sa technique de chasse ? Il commence par casser les reins de sa proie pour l’immobiliser avant de la dévorer.
— Il casse les reins ?
— Oui, je l’ai baptisé le pangolin bago…
Je me frappe le front, atterré.
— Pitié, si même les Schleuhs se mettent à faire du second degré, on n’est pas dans… Oh merde, Tokū, arrête-le !
Trop tard ! Ce fils de doryphore a profité de notre inattention pour entrer dans la cage du pangolin bago et refermer derrière lui.
— La clé, Tokū ! Trouve cette putain de clé !
Tokū file à toute allure vers le bureau, à la recherche d’un double hypothétique, mais je sais que ce sera déjà trop tard.
Le pangolin tueur ne tarde pas. Il se précipite sur Mengele, le jette au sol puis, prenant appui sur son énorme queue (du calme, François Lefebvre, je ne parle pas de toi), il se laisse tomber de tout son poids sur la colonne vertébrale du Docteur Kilikil, qui éclate d’un rire sardonique malgré son dos brisé.
— Ha ha ha ! Qu’est-ce que tu croyais, Orcus Morrigan ? Qu’un SS allait se rendre comme le pire des lâches ? Je préfère encore la mort ! Et puisque le cyanure n’a plus aucun effet sur moi, plutôt me faire déchiqueter par ce pangolin que de te révéler la vérité ! Tu ne sauras jamais qui est derrière tout ça. Heil Hitl…
Il ne peut finir sa phrase, le pangolin vient de lui écrabouiller la gueule d’un vigoureux coup de patte postérieure.
Je secoue les barreaux de toutes mes forces, mais fume, c’est de l’acier allemand. Boche, du travail de pro.
Impuissant, j’assiste à la transformation du zombie de Mengele en bouillie de mort-vivant nazi.
— Merde, j’arrive trop tard, murmure Tokū dans mon dos.
Dans la cage, le corps de Mengele n’est plus qu’une flaque immonde, que le pangolin bago lape bruyamment. Demain, le bestiau chiera un étron au Mengele, mais même la plus puante des merdes lui sera encore un trop noble tombeau.
— Tu as trouvé la clé ?
— Non, mais j’ai peut-être mieux.
Il me tend un petit carnet en cuir marron, fermé par un élastique épais.
— Qu’est-ce que c’est ?
— J’ai trouvé ça par terre, à l’endroit où tu as percé Mengele. Ce devait être dans la poche de sa blouse et ça a dû tomber quand tu l’as secoué.
Je lui prends le carnet et l’effleure du bout des doigts, avec un sourire extatique.
— Tu penses comme moi ? me demande Tokū avec un sourire carnassier.
— Oui, mon pote, on est repartis pour au moins deux semaines !